- roman
- 18 € | 144 pages
- parution le 9 janvier 2025
- ISBN 978-2-4876-0015-7
Léo est ce qu’on appelle une «Volonterre», parmi les premières à s’être engagée pour travailler aux champs quand la crise climatique n’a plus permis aux populations des villes de survivre. Elle ne regrette pas son choix et, entre deux récoltes se satisfait de petits riens. Une seule chose lui manque : nager. Alors un soir, elle s’échappe pour rejoindre la rivière. La baignade interdite est un délice, mais sur le chemin du retour, elle tombe en panne. Pendant que Léo tente de surmonter la panique qui s’empare d’elle, une mystérieuse femme fait son apparition : c’est Boa, une résistante clandestine. Ensemble, elles vont traverser une nuit de tension et de révélations, apprendre à se connaître et à réparer cette voiture.
Campé dans un monde où la nature réclame ses droits et qui se réinvente, Boa est un roman profond, une réflexion mordante sur la liberté et le sens à donner à son existence.
- Anne-Sophie Jacques est autrice et journaliste. Après avoir dirigé le Très Court International Film Festival pendant quatre ans, elle reprend le chemin de l’écriture. Boa est son premier roman.
- Le sujet, la construction, l’écriture, la concision du style… tout me va dans roman ! Anne-Sophie Jacques a une belle plume et un bel avenir.
- La Panne
Je me suis toujours méfiée des moments d’extase. Je sais d’expérience qu’ils sont souvent suivis d’un retour de bâton. Une montée. Une descente. C’est physique. On ne peut pas monter sans fin. Et on ne peut pas nager dans le bonheur sans qu’aussitôt, ou presque, la vie vous rappelle qu’après le haut vient le bas.
J’étais à deux doigts d’oublier cette loi quand les hoquets de la voiture m’ont ramenée à la réalité. J’ai senti les heurts du moteur à travers le volant, dans mes reins, puis c’est toute la carcasse qui s’est mise à trembler, teuf teuf teuf ça cale et ça repart, allez tiens bon, teuf teuf teuf puis un bruit pathétique, une sorte de râle, un soupir malpoli, teuf teuf teuf puis plus rien. Heureusement j’étais sur une ligne droite et pas dans les virages parcourus plus tôt. J’ai agrippé le levier de vitesse, freiné du mieux possible, quatrième troisième seconde, encouragé l’auto à l’agonie,
allez cocotte, tiens bon encore un peu, puis visé le bas-côté avant qu’elle ne rende l’âme. Le silence de la nuit nous a sauté dessus. La voiture n’irait pas plus loin. Et moi non plus.Une montée, une descente. Une heure plus tôt, je nageais dans le bout de rivière que m’avait conseillé Mathieu. J’avais roulé de nuit, au risque de me faire choper, juste pour retrouver la sensation de l’eau sur mon corps, cette eau qui vous glisse sur la peau et vous lave et vous soigne et vous guérit parfois. Je n’avais pas nagé depuis des années. Depuis les restrictions. Mathieu savait que c’était ce qui me manquait le plus. La brasse. Le dos crawlé. La planche pour regarder les oiseaux. Les nuages. Ou les étoiles comme ce soir. Ils avaient lâché de l’eau du barrage, je ne sais pas comment Mathieu a eu l’info mais il l’a eue et me l’a donnée, en même temps que les clés du tacot, une voiture sans plaque achetée mille balles à un Clandé. On la rangeait dans la grange, derrière les bottes de paille qu’on déplaçait chaque fois pour ne pas se faire repérer.
Je ne l’avais jamais conduite mais j’ai souvent accompagné Mathieu, ou même Rémi. Côté passager, le plancher troué offrait un trou béant, et quand je m’y installais, je voyais la route défiler sous mes pieds posés sur ce qui avait dû être une boîte à gants. Les vitres des portières avaient disparu, tout comme la banquette arrière, les sièges de devant gardaient çà et là quelques bouts de faux cuir, et dès que nous prenions un peu de vitesse, l’air s’engouffrait à travers le squelette de l’engin qui roulait allez
savoir comment. On n’allait pas se plaindre. D’ailleurs, Mathieu ne se plaignait jamais. Un taiseux. Ses grosses mains sont à son image : besogneuses. Ses cheveux de plus en plus jaunes ressemblent à de
la paillasse qui couvre le haut de son visage buriné. Ses lunettes d’intello, cercle fin en acier, sont posées sur un nez droit, un nez parfait. Mathieu parle peu mais joue beaucoup avec ses montures, je les mets, je les ôte, je les remets, je les nettoie sur un bout de tee-shirt, je regarde à travers pour vérifier l’absence de traces, je mordille la branche droite, puis la gauche, je me masse le haut du nez l’air de dire j’en peux plus, et cette comédie est une forme de langage que j’ai apprivoisée. Il avait dû être beau, je veux
dire beau comme dans les magazines autrefois, beau comme les stewards des avions, beau comme les modèles de beauté masculine qui se faisaient harceler par des fans en quête du Graal, l’homme blanc en voie de disparition. Je ne sais pas grand-chose de sa vie, hormis qu’il était ingénieur avant de partir en maraîchage et de reprendre la ferme laissée à l’abandon. Elle était occupée avant lui par des néohippies qui faisaient pousser du chanvre et passaient leur temps à fumer leur récolte, du moins c’est ce qu’on m’a dit. Mathieu a mis près d’un an à élaborer un système pour gérer l’eau. Il a conçu et fabriqué des dizaines de réservoirs, de bacs et de goulottes, des pots de grès enterrés sur lesquels viennent se rafraîchir les racines, des petits châteaux d’eau et des puits aux endroits stratégiques, des éoliennes pour convertir le vent en électricité, des
travées entières composées de bois, de copeaux, de paille et de terre pour les courges qui s’épanouissaient là, dans un dédale de lianes et de feuilles, en pagaille, et j’ignorais que les potirons étaient capables de pousser sur tuteur, en l’air, leur poids porté par une tige gracile mais costaude. Comme quoi, disait Mathieu, faut pas se fier aux apparences. J’aimais sa
présence car il chérit le silence, contrairement à Rémi qui ne tarit jamais de mots, même quand je dis chut, même quand je dis mais tais-toi donc l’affreux, même quand je le regarde avec mes yeux devenus noirs et qui lui font peur. Il n’y a que quand je le menace de lui coudre la bouche qu’il suspend sa logorrhée, bouche ouverte, à gober l’air qui passe, en apnée, avant de reprendre son flot, et je me bouche les oreilles pour ne plus l’écouter. Tandis qu’avec Mathieu, on peut écouter le paysage. Les nuages. L’indicible. On peut écouter les odeurs de la terre, de crottin, de sapin, et engranger tout ça pour nous, sans même échanger un sourire.Nous étions cinq permanents, Mathieu, Rémi, Julie et Sandro, et moi. J’étais la dernière arrivée, j’ai commencé comme saisonnière, et, coup de bol, Mathieu m’a recrutée pour superviser les récoltes. La vallée connaissait une vague d’immigration, les besoins en légumes avaient crû, je n’étais pas de trop. Rémi gérait l’approvisionnement des points de
vente, Julie et Sandro s’occupaient de l’intendance, de la cuisine, des provisions pour l’hiver mais aussi des Volontaires engagés tout au long de l’année, et quand nous étions trente ou quarante, une fois l’été venu, le couple orchestrait la ferme en pleine effervescence, levé à l’aube, couché tard dans la nuit, veillant sur leur troupe le temps de la saison, nourriture
saine, salaire correct, l’adresse était connue, ça se bousculait au portillon, des fermes autogérées et bienveillantes, ce n’était pas légion. Premières pages de Boa à écouter
Anne-Sophie Jacques et Juliette Ponce présentent Boa
Vidéo réalisée à l’occasion de la présentation de la rentrée littéraire d’hiver 2025 aux libraires
- roman
- 18 € | 144 pages
- parution le 9 janvier 2025
- ISBN 978-2-4876-0015-7
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