Tout le monde sait que ta mère est une sorcière

Rivka Galchen
traduit par Lori Saint-Martin et Paul Gagné
Rivka Galchen, Tout le monde sait que ta mère est une sorcière

1618. Dans le duché allemand de Württemberg, Katharina Kepler est une veuve dont on respecte la sagesse et chez qui l’on vient demander conseils et remèdes. Son fils Johannes est aujourd’hui un célèbre mathématicien de la cours impériale, auteur d’un traité d’astronomie dont on parle jusqu’à Rome. Mais il suffira d’une voix pour faire naître le doute et basculer la réputation de la veuve Kepler. Une voisine l’accuse de lui avoir fait boire un étrange breuvage qui l’aurait rendu malade. Katharina serait une sorcière. Dans l’enquête qui s’engage, la jalousie et l’obscurantisme seront les ennemis d’une famille que l’on voudrait rendre responsable de la peste qui se propage, des mauvaises récoltes et de la guerre qui gronde.

Dans une fresque qui nous fait entendre tour à tour la voix des accusés et celle des accusateurs, Rivka Galchen, tissant à partir de l’histoire d’un procès réel, nous parle d’un monde aveuglé par la peur et du pouvoir implacable de la rumeur condamnant les femmes.

  • Née en 1976, Rivka Galchen est une autrice américano-canadienne. Elle enseigne aujourd’hui dans le département de création littéraire de l’Université Columbia.
  • Drôle par moments, absurde à d’autres, s’inspirant de l’histoire réelle, ce roman captivant nous emmène dans le labyrinthe du cœur des accusés comme des accusateurs.
    Chaque page de ce roman brillant et fascinant contient des phrases d’une poésie surréaliste, d’une profonde perspicacité et d’une observation enchanteresse, de sublimes absurdités à la Monty Python et de délicieux fragments de contes de fées et de traditions. C’est un roman à conserver aux côtés de vos Calvino ou Ishiguro préférés.
    Ce bijou de roman est aussi perturbant qu’hilarant. C’est aussi un morceau d’histoire fondamental, particulièrement pertinent pour notre époque.
    Galchen tisse de manière experte une histoire racontée à partir de perspectives multiples, montrant à quel point il est facile pour une communauté de laisser s’installer un climat de peur et d’ignorance.
    Je ne peux penser à un écrivain plus singulier que Rivka Galchen. Elle apporte ici son intelligence et son esprit rigoureux à un roman historique qui jette une lumière vive sur notre présent. Ce texte farouchement original, un portrait mordant et finalement dévastateur sur la perte et la terreur, écrit par l’un des écrivains les plus brillants à l’œuvre aujourd’hui.
    Imaginez une histoire qui se déroule en 1620 mais s’adresse en fait directement à votre petit cœur meurtri du XXIe siècle. C’est le type de livre qui vous étonne, vous séduit et vous transforme.
    Une sage méditation sur le genre de persécution hystérique dont on est si souvent témoin à l’ère d’Internet...
  • Je commence ici mon récit, avec l’aide de mon voisin Simon Satler, car je ne sais ni lire ni écrire. Je maintiens que je ne suis pas une sorcière, que je n’ai jamais été une sorcière et que je ne suis apparentée à aucune sorcière. Dès mon plus jeune âge, cependant, j’ai eu des ennemis.

    À l’auberge de mon père, notre vache, Mare, se montrait souvent agacée et amère envers l’enfant que j’étais. Je ne savais pas pourquoi. Si elle était ici aujourd’hui, je n’hésiterais pas à passer un ruban de soie bleue autour de son cou. Elle est morte de la fièvre de lait, et je n’y suis pour rien, même si, petite, j’ai cru le contraire : Mare m’avait donné un coup de sabot et je l’avais traitée d’empotée. Était-elle mon ennemie ? Il faut du temps et de l’expérience pour gagner la confiance d’une vache.

    Maintenant que j’ai dans les soixante-dix ans, je ne consacrerai plus de temps aux ennemis ou aux amours de ma jeunesse et du mitan de ma vie. Je me bornerai à dire que je n’ai encore jamais eu de démêlés avec la justice. Ni pour violence, ni pour obscénité, ni pour libertinage, ni pour larcin. Et pourtant, dans ce procès, on me prête le pouvoir d’empoisonner, de rendre infirme, de franchir les portes verrouillées, de provoquer la mort des moutons, des chèvres, des vaches, des bébés et des vignes, voire celui de guérir – le tout à volonté.

    Moi qui, comme tu le sais très bien, suis incapable de gagner ne serait-ce qu’une partie de jacquet.

    En cas d’échec de ma défense, on cherchera à m’arracher une confession par la torture. D’abord les poucettes, puis les brodequins, puis le chevalet – ou quelque chose d’approchant. Tout dépend du bourreau nommé par le conseil. Si on a pitié de moi, je serai décapitée avant d’être brûlée ; si on se montre intransigeant, je serai brûlée sans être décapitée au préalable. L’année dernière, sept femmes de Ratisbonne ont subi ce sort. Mes enfants, avec un peu d’aide, coordonnent ma défense.

    Il y a deux choses qu’une femme doit faire toute seule : croire et mourir. C’est ce que dit Martin Luther. Enfin, c’est ce que tu dis que Martin Luther dit ou a dit : il est mort l’année de ma naissance. J’ai communié en catholique une seule fois, par erreur. Ma fille Greta est mariée à un pasteur qui soutient que ce n’est pas bien grave. Mon fils Hans est d’accord. Je tiens Luther en très haute estime. Il a lui aussi été diffamé. Une fois de plus, je te suis reconnaissante, Simon, de me tenir compagnie, d’écrire en mon nom, d’être mon tuteur légal.

    Ceci est mon témoignage le plus fidèle.