Histoires passagères

Maddalena Rodriguez-Antoniotti
Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Histoires passagères

Marcher, déambuler sous le ciel, goûter le paysage à hauteur de regard. Et puis, tendre la main, le pouce dressé, et attendre. Attendre qu’une voiture s’arrête. Et durant cette drôle de parenthèse en autostop, s’éprouver et, tout autant, se prouver qu’on est libre. Pour elle, la fille de 68, rétive à toute autorité, c’est un élan vital.

Histoires passagères tient la chronique imaginaire, entre 1970 et 1973, des allées et venues d’une jeune prof de banlieue. Au fil de récits ciselés comme autant d’éléments d’un puzzle intime, c’est d’une voiture à l’autre, d’un inconnu à l’autre, que nous traversons la France, la Corse et la Grande-Bretagne. Nous rencontrons avec elle des hommes qui nous étonnent ou nous déconcertent, nous attirent ou nous effraient. Dans ces embarquements répétés, ce qui se joue ébauche le portrait d’une époque, en écho avec les réalités d’aujourd’hui. Au fil de pages portées par la très belle plume de Maddalena Rodriguez-Antoniotti, émerge, entre histoire personnelle et histoire collective, le destin d’une femme éprise de liberté.

  • D’origine corse, Maddalena Rodriguez-Antoniotti vit depuis 2015 en Gironde. Historienne de formation, elle est devenue peintre, photographe et essayiste. Histoires passagères est sa première œuvre de fiction.
  • Un roman comme une suite d’instantanés de vie, au côté d’une jeune étudiante qui sillonne les routes européennes, en compagnie des hommes qui l’ont prise en stop. L’autrice nous offre un portrait de la masculinité dans les années 70. Et de celle d’aujourd’hui. En se livrant à cette radiographie des masculinités, Maddalena Rodriguez-Antoniotti ne cède pas à la tentation du cliché, ou du manichéisme. Son regard sur les hommes est aussi fin que sa plume est alerte.
    La sensibilité artistique de Maddalena Rodriguez-Antoniotti en tant que peintre et photographe lui inspire des flashes à la tonalité poétique. Mais dans ce récit, le choc que ressent le lecteur provient de l’irruption dans la prose généralement délicate de Maddalena Rodriguez-Antoniotti d’un vocabulaire cru qui traduit la brutalité du désir masculin.
    Le récit avance, roule dans un style alerte et fluide. Si l’auteure témoigne d’une grande sensibilité aux paysages, ses descriptions menées dans une langue poétique simple et concise n’altèrent pas le rythme. Elle brosse aussi avec lucidité et humour une galerie de portraits masculins très divers allant de l’ange gardien à l’ignoble prédateur en passant par l’aristocrate tiré à quatre épingles, l’homme à femmes, le doux ouvrier exilé d’origine indienne ou le légionnaire … dressant ainsi une sorte d’état des lieux post Mai 1968. Un instructif et savoureux voyage au pays des hommes et des clichés !
  • Mai 1972

    Elle avait quitté Paris dans la fraîcheur du petit matin. Une fraîcheur inattendue pour un jour de mai. Rien qu’à tendre le bras à l’entrée de l’autoroute, sa mauvaise humeur du réveil s’était évanouie. Par expérience, elle savait qu’elle n’aurait pas vraiment le temps de moisir là. Elle possédait bien une voiture, un tacot en vérité, mais à l’occasion, c’était son sac qu’elle faisait et le stop qu’elle privilégiait. Tous les « pourquoi » et les « pourquoi ça » n’y changeaient rien. Au quotidien pourtant, le plus clair de son temps n’avait qu’une destination : la Sorbonne et les bibliothèques alentour où elle faisait en sorte de préparer un doctorat. Elle avait besoin de lire et d’étudier comme elle avait besoin de s’alimenter et l’existence, elle l’avait jusqu’alors parcourue avec des tas de livres sous le bras. Quand bien même, depuis quelque temps, les études n’étaient plus « toute sa vie », rien de tel pour prendre des couleurs, disait-elle en rigolant, que de gagner les salles d’archives où parfois bruissaient des récits libres de noms et de frontières.

    Tout en refusant de prêter l’oreille au refrain des braves gens affalés en parfaite sécurité devant leur poste de télévision (le « si vous ne voulez pas être mangées, les filles, restez sagement à la maison »), elle portait sur elle un couteau. Celui que son père, peu avant qu’il ne meure, avait glissé dans sa main et avec lequel il faisait mille bricoles. Il avait cru bon de le lui donner au moment où elle avait commencé à militer, où elle avait commencé à circuler la nuit et à rentrer au bercail par le dernier métro. Un couteau à cran d’arrêt de fabrica-tion artisanale, corse bien entendu. Une petite merveille dont la lame jaillissait du manche en corne de bélier par simple pression sur le bouton central. Elle le portait comme qui dirait un talisman. L’âme d’une aventurière ou d’une hippie, elle ne l’avait pourtant pas. Sans être pantouflards, ses voyages n’étaient pas de ceux au long cours. Bien qu’elle ait du mal avec cette foutue société industrielle et urbaine, elle ne songeait nullement à se tourner vers les routes d’Asie. Vers ce rituel (et même cette bible) qui faisait s’étirer sa banlieue de la porte d’Orléans, si ce n’était jusqu’à Katmandou, du moins vers Goa. Elle n’avait aucun mérite à résister à l’enivrante consolation – shiloms brûlants, lumière de baisers dans l’air, horizons et couchers de soleil sans pareils. N’était-ce pas nier l’enfer de misère, l’énorme Buchenwald qu’était l’Inde, où le réveil chaque matin, pour une foule de gens, devait être un cauchemar ? Non, l’odeur de ce pays, elle ne connaîtrait pas. Pas davantage elle ne se rendrait, l’été venu, sur les terres de Franco.

Actualité autour du livre
  • Histoires passagères au Prix Arte Mare

    Le roman de Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Histoires passagères a été finaliste du prix littéraire Ulysse du premier roman méditerranéen organisé par le festival Arte Mare. Une belle reconnaissance pour ce premier roman !